Résumé. En 1991, l'UNESCO publiait un guide de la préservation des documents audiovisuels (George BOSTON, Guide to the basic technical equipment required by audio, film and télévision archives, Londres, 1991). dans le but d'établir un code des normes professionnelles qui constitue un cadre de référence international pour discipliner les modalités d'interventions en vue de la préservation, de la restauration et de la réédition des enregistrements analogues audio et vidéo. Ce guide définissait donc l'éthique de la préservation du patrimoine documentaire audiovisuel. Les critères de la section audio, notamment, visaient à contrer l'obsolescence des grands fonds d'archive : les collections de disques gravés, les enregistrements sur bande d'événements populaires traditionnels, les enregistrements radio-télévisés, les captations de représentations théâtrales et de festival. Les modalités d'intervention de la préservation active se résument à ce précepte : « the function of the archivist is to save, not to rewrite, history ». Ainsi, l'acte de préservation devait : a) garantir la récupération du signal enregistré, dans le respect des caractéristiques du format d'origine ; b) assurer le transfert fidèle du signal sur les supports numériques ; c) éviter d'exposer les documents à des traitements arbitraires de modernisation du son. Vingt-cinq ans après l'écriture de ce Guide, nous pouvons affirmer que ce problème critique, alors vivement ressenti par ses auteurs, a été partiellement résolu. Parmi les objectifs de la migration de l'analogue au numérique, la réussite la plus pertinente a été un accès facilité aux documents audio. Bien que les retombées des nouvelles formes d'accès dans le domaine de la préservation soient évidentes, elles n'ont pas encore été étudiées méthodiquement : le rythme accéléré de la communication numérique tend à enregistrer avec la rapidité de l'éclair ce qui s'est passé à l'instant présent. En particulier, les utilisateurs de documents audiovisuels ont tendance à consulter les données actuelles sans se préoccuper excessivement de leur provenance ou de leur authenticité. Néanmoins, la facilité d'accès a contribué à faire croître l'intérêt des historiens et critiques musicaux pour les enregistrements audiovisuels. La valorisation des contenus audiovisuels au sein des organismes de radio et de télévision, dans les théâtres et les festivals, est à l'ordre du jour. Au cours des années 1950 à 1980, la production d'œuvres mélangeant audiovisuel et musique a été riche et significative. Aujourd'hui, les éditeurs musicaux doivent faire face au problème de l'exécution et de la mise en scène des œuvres musicales sur un support audiovisuel figurant dans leurs catalogues. Ces facteurs réunis ont amené les critiques musicaux à attribuer aux documents audiovisuels le rôle de source primaire. L'objectif de la valorisation reste pourtant problématique dans le cas des documents qui restituent des œuvres musicales d'auteur. Des problématiques anciennes reviennent se présenter à l'éthique de la préservation, sous des formes nouvelles et complexes : a) l'authenticité des documents, b) le concept de bruit, c) les formes d'accès à l'audio. Ces questions portent, sous des modalités diverses, tant sur les documents d'origine numérique que sur les dérivés de documents analogues. Actuellement, trois niveaux opérationnels et conceptuels ressortent : 1) valable pour tous les documents : le transfert fidèle du signal enregistré. En règle générale, dans ce processus, deux systèmes sont inévitablement mis en contact : le système historique et le système de re-médiation. En conséquence pour la critique des sources de audiovisuelles, il est nécessaire d’étudier non seulement les documents sonores enregistrés, mais aussi les processus de production qui ont déterminé la création. Pour les œuvres de musique électronique, la question se pose de manière particulièrement complexe dans la mesure où le bruit n’étant pas codifié dans la notation musicale traditionnelle peut être perçu comme un matériau musical choisi intentionnellement. Le principe fondateur de ce premier niveau peut être nommé diasystémique ; 2) le deuxième niveau exige la conscience du caractère relatif de notre savoir. L'amélioration de la technologie et l'avancement de nos connaissances des documents peuvent être porteurs de sens opérationnels importants sur les données dont nous ne pensions pas, auparavant, qu'elles étaient essentielles. Le bruit peut devenir signal, et ce que nous considérons signal utile peut être lu dans un autre contexte culturel comme du bruit. Pour ce niveau, le principe de base est le feedback. 3) Pour la musique d'auteur enregistrée, il est essentiel d'introduire un troisième niveau. Les documents sonores sont dans ce cas la projection des choix techniques et théoriques mis en œuvre par le compositeur. Les composants d'une œuvre musicale fixée sur support audiovisuel sont une sorte d'image holographique des diffractions multiples de la pensée du compositeur. La valorisation de ces documents implique, pour la préservation, de rejoindre un nouveau niveau : la restitution à la vie de l'œuvre en concert. L'éthique du respect de l'auteur et des œuvres ayant un mérite artistique est ici soutenue par un principe que nous pouvons ainsi définir comme holographique. Nous pouvons traduire ces principes en termes opérationnels concernant les restaurations de documents audio : 1)l'approche conservative tient compte de l'ensemble des informations présentées par le document, quelle que soit la forme sous laquelle il se présente. Elle a pour objectif la conservation de l'unité documentaire. L'approche veut répondre à la question : à quoi ressemble le document ? 2)L'approche documentaire se penche sur la forme de chaque document, sur les relations qui sous-tendent en interne le tissu sonore, et dans le cas de témoignages pluriels d'une même œuvre, entre les documents eux-mêmes ; aux appareils et aux techniques de réalisation, à la pratique de composition, aux bases de son écriture. Cette approche répond ainsi à la question : où est le tissu sonore du document ? 3)L'approche sociologique se fonde sur l'étude des caractéristiques des systèmes historiques de mémorisation et de diffusion du son. Elle a pour objectif la reconstruction historique de l'enregistrement tel qu'il a été écouté à l'époque, avec l'ambition d'écrire une histoire des habitudes d'écoute. Elle répond à la question : comment le document publié était-il perçu ? 4)L'approche reconstructrice/régénérative se penche sur la production du document d'après le point de vue de la responsabilité intellectuelle et matérielle. Elle a pour objectif de chercher, y compris par l'étude de la genèse de l'œuvre, le tissu sonore répondant le plus possible à l'intention de l'auteur. Cet objectif, elle le poursuit par la collecte de témoignages, l'étude de la tradition, afin de ¬pouvoir opérer une « régénération » du tissu sonore sur la base de témoignages multi-traces (master) des informations déduites à partir de la partition, dans le cas de la musique mixte, et des modifications de l'auteur pendant le mixage. 5)L'approche esthétique, enfin, considère les potentialités de l'œuvre en relation avec l'utilisation du marché discographique ou de l'exécution. Elle a pour objectif l'édition ou l'élaboration du matériel audio dans les formats destinés à la représentation. Il s'agit d'une approche interprétative fonctionnelle des modalités et des conditions de l'écoute, de l'événement et de la performance du moment. L'approche esthétique répond à la question : comment transformer le document ? Parmi les possibilités de lecture de la re-médiation des documents audio, ces approches donnent une vision système, où le préfixe re acquiert une valeur de paradigme : la re-médiation est une innovation inscrite dans le retour du document transformé par elle. Le re peut être compris non seulement en termes de répétition et de copie, mais aussi au sens de la production d'une altérité : système de re-production, ré-organisation, ré-génération tournée non seulement vers le passé, mais aussi vers le présent et vers l'avenir.

Traces sonores du XXe siècle. Pour une critique des sources audiovisuelles

ORCALLI, Angelo
2013-01-01

Abstract

Résumé. En 1991, l'UNESCO publiait un guide de la préservation des documents audiovisuels (George BOSTON, Guide to the basic technical equipment required by audio, film and télévision archives, Londres, 1991). dans le but d'établir un code des normes professionnelles qui constitue un cadre de référence international pour discipliner les modalités d'interventions en vue de la préservation, de la restauration et de la réédition des enregistrements analogues audio et vidéo. Ce guide définissait donc l'éthique de la préservation du patrimoine documentaire audiovisuel. Les critères de la section audio, notamment, visaient à contrer l'obsolescence des grands fonds d'archive : les collections de disques gravés, les enregistrements sur bande d'événements populaires traditionnels, les enregistrements radio-télévisés, les captations de représentations théâtrales et de festival. Les modalités d'intervention de la préservation active se résument à ce précepte : « the function of the archivist is to save, not to rewrite, history ». Ainsi, l'acte de préservation devait : a) garantir la récupération du signal enregistré, dans le respect des caractéristiques du format d'origine ; b) assurer le transfert fidèle du signal sur les supports numériques ; c) éviter d'exposer les documents à des traitements arbitraires de modernisation du son. Vingt-cinq ans après l'écriture de ce Guide, nous pouvons affirmer que ce problème critique, alors vivement ressenti par ses auteurs, a été partiellement résolu. Parmi les objectifs de la migration de l'analogue au numérique, la réussite la plus pertinente a été un accès facilité aux documents audio. Bien que les retombées des nouvelles formes d'accès dans le domaine de la préservation soient évidentes, elles n'ont pas encore été étudiées méthodiquement : le rythme accéléré de la communication numérique tend à enregistrer avec la rapidité de l'éclair ce qui s'est passé à l'instant présent. En particulier, les utilisateurs de documents audiovisuels ont tendance à consulter les données actuelles sans se préoccuper excessivement de leur provenance ou de leur authenticité. Néanmoins, la facilité d'accès a contribué à faire croître l'intérêt des historiens et critiques musicaux pour les enregistrements audiovisuels. La valorisation des contenus audiovisuels au sein des organismes de radio et de télévision, dans les théâtres et les festivals, est à l'ordre du jour. Au cours des années 1950 à 1980, la production d'œuvres mélangeant audiovisuel et musique a été riche et significative. Aujourd'hui, les éditeurs musicaux doivent faire face au problème de l'exécution et de la mise en scène des œuvres musicales sur un support audiovisuel figurant dans leurs catalogues. Ces facteurs réunis ont amené les critiques musicaux à attribuer aux documents audiovisuels le rôle de source primaire. L'objectif de la valorisation reste pourtant problématique dans le cas des documents qui restituent des œuvres musicales d'auteur. Des problématiques anciennes reviennent se présenter à l'éthique de la préservation, sous des formes nouvelles et complexes : a) l'authenticité des documents, b) le concept de bruit, c) les formes d'accès à l'audio. Ces questions portent, sous des modalités diverses, tant sur les documents d'origine numérique que sur les dérivés de documents analogues. Actuellement, trois niveaux opérationnels et conceptuels ressortent : 1) valable pour tous les documents : le transfert fidèle du signal enregistré. En règle générale, dans ce processus, deux systèmes sont inévitablement mis en contact : le système historique et le système de re-médiation. En conséquence pour la critique des sources de audiovisuelles, il est nécessaire d’étudier non seulement les documents sonores enregistrés, mais aussi les processus de production qui ont déterminé la création. Pour les œuvres de musique électronique, la question se pose de manière particulièrement complexe dans la mesure où le bruit n’étant pas codifié dans la notation musicale traditionnelle peut être perçu comme un matériau musical choisi intentionnellement. Le principe fondateur de ce premier niveau peut être nommé diasystémique ; 2) le deuxième niveau exige la conscience du caractère relatif de notre savoir. L'amélioration de la technologie et l'avancement de nos connaissances des documents peuvent être porteurs de sens opérationnels importants sur les données dont nous ne pensions pas, auparavant, qu'elles étaient essentielles. Le bruit peut devenir signal, et ce que nous considérons signal utile peut être lu dans un autre contexte culturel comme du bruit. Pour ce niveau, le principe de base est le feedback. 3) Pour la musique d'auteur enregistrée, il est essentiel d'introduire un troisième niveau. Les documents sonores sont dans ce cas la projection des choix techniques et théoriques mis en œuvre par le compositeur. Les composants d'une œuvre musicale fixée sur support audiovisuel sont une sorte d'image holographique des diffractions multiples de la pensée du compositeur. La valorisation de ces documents implique, pour la préservation, de rejoindre un nouveau niveau : la restitution à la vie de l'œuvre en concert. L'éthique du respect de l'auteur et des œuvres ayant un mérite artistique est ici soutenue par un principe que nous pouvons ainsi définir comme holographique. Nous pouvons traduire ces principes en termes opérationnels concernant les restaurations de documents audio : 1)l'approche conservative tient compte de l'ensemble des informations présentées par le document, quelle que soit la forme sous laquelle il se présente. Elle a pour objectif la conservation de l'unité documentaire. L'approche veut répondre à la question : à quoi ressemble le document ? 2)L'approche documentaire se penche sur la forme de chaque document, sur les relations qui sous-tendent en interne le tissu sonore, et dans le cas de témoignages pluriels d'une même œuvre, entre les documents eux-mêmes ; aux appareils et aux techniques de réalisation, à la pratique de composition, aux bases de son écriture. Cette approche répond ainsi à la question : où est le tissu sonore du document ? 3)L'approche sociologique se fonde sur l'étude des caractéristiques des systèmes historiques de mémorisation et de diffusion du son. Elle a pour objectif la reconstruction historique de l'enregistrement tel qu'il a été écouté à l'époque, avec l'ambition d'écrire une histoire des habitudes d'écoute. Elle répond à la question : comment le document publié était-il perçu ? 4)L'approche reconstructrice/régénérative se penche sur la production du document d'après le point de vue de la responsabilité intellectuelle et matérielle. Elle a pour objectif de chercher, y compris par l'étude de la genèse de l'œuvre, le tissu sonore répondant le plus possible à l'intention de l'auteur. Cet objectif, elle le poursuit par la collecte de témoignages, l'étude de la tradition, afin de ¬pouvoir opérer une « régénération » du tissu sonore sur la base de témoignages multi-traces (master) des informations déduites à partir de la partition, dans le cas de la musique mixte, et des modifications de l'auteur pendant le mixage. 5)L'approche esthétique, enfin, considère les potentialités de l'œuvre en relation avec l'utilisation du marché discographique ou de l'exécution. Elle a pour objectif l'édition ou l'élaboration du matériel audio dans les formats destinés à la représentation. Il s'agit d'une approche interprétative fonctionnelle des modalités et des conditions de l'écoute, de l'événement et de la performance du moment. L'approche esthétique répond à la question : comment transformer le document ? Parmi les possibilités de lecture de la re-médiation des documents audio, ces approches donnent une vision système, où le préfixe re acquiert une valeur de paradigme : la re-médiation est une innovation inscrite dans le retour du document transformé par elle. Le re peut être compris non seulement en termes de répétition et de copie, mais aussi au sens de la production d'une altérité : système de re-production, ré-organisation, ré-génération tournée non seulement vers le passé, mais aussi vers le présent et vers l'avenir.
2013
9782869382176
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